Repères théoriques à l'attention des PRESCRIPTEURS

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Quelques repères théoriques de la Gestalt thérapie aujourd’hui

La Gestalt-thérapie est une dissidence de la psychanalyse : Perls a d’abord été psychanalyste (de 1938 à 1951) et lorsque la Gestalt-thérapie (GT) naît vraiment en 1951 il est âgé de 58 ans. La GT a été élaborée par Frederich Perls et Laure Posner (plus connus comme Fritz Perls et son épouse Laura Perls) dans les années 50. Parmi leurs sources : la psychologie de la forme avec les travaux de Köhler et Koffka ; les travaux de Rank, de Reich, de Moreno et en philosophie –de manière très discrète- les travaux de Husserl.  Le premier écrit de Perls date de 1942  et s’intitule « Le Moi, la Faim et l’Agressivité ». En réalité cet ouvrage a été conçu avec Laura, elle serait l’auteure de l’intégralité du chapitre II. Pendant qu’il écrivait, elle s’occupait de leurs enfants…

Le point de départ des travaux des Perls est une mise en cause du primat de la libido et la mise en valeur de l’agressivité dentale dans sa dimension créatrice. Les Perls se distinguent ainsi des conceptions de l’agressivité comprises comme essentiellement destructrices.

 

L’écrit New-Yorkais qui fait référence « Gestalt-thérapie », « Vers une théorie du Self, nouveauté, excitation et croissance » date de 1951 : (avec Hefferline universitaire USA et Paul Goodman, écrivain et philosophe USA) une traduction de Jean-Marie Robine est disponible aux éditions l’Exprimerie à Bordeaux. Nous y trouvons les premiers fondements de la théorie du self. Cet écrit témoigne d’une élaboration en cours avec ses achoppements et esquisses.  

 

Peu à peu deux grands courants ont vu le jour aux USA : un courant plus proche de Perls le courant Californien « new age » avec une conception en appui sur le paradigme individualiste, le fameux « ici et maintenant » et beaucoup d’expérimentation ; et un courant plus théorique et avec Paul Goodman et Laura Perls restés à New-York, alors que Fritz Perls et la Gestalt (qui a perdu « thérapie » en cours de route) devenaient célèbres à Essalen en Californie.

 

Actuellement, en France plusieurs courants ont poursuivi les élaborations premières. L’un a développé la théorie du self de la Gestalt thérapie dans le courant de la psychanalyse des relations d’objets -à partir notamment des travaux des psychanalystes Fairbairn et Kohut, l’initiateur de ce courant est Gilles Delisle (psychologue clinicien canadien).

L’autre courant français a contribué à développer la théorie du self selon le paradigme de champ, son représentant en France en est Jean–Marie Robine (psychologue clinicien et Gestalt-thérapeute Bordelais, IFGT). Un autre courant a vu le jour en France avec Edith Blanquet dans l’Aude, il s’appuie sur le paradigme de champ, sur les travaux de Heidegger et des psychiatres phénoménologues.

 

Ma recherche prend racine sur les courants de champ et phénoménologie. Je veux préciser là que la Gestalt-thérapie  telle que je la pratique n’est pas celle qui est enseignée par certaines écoles directement issues du courant Californien… connues et plébiscitées des médias populaires qui présentent de la Gestalt (sans thérapie) une vision fort réductrice et péjorative.


 

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Posture de champ et phéno

La posture à laquelle je me réfère indique le « comment » et le « en-vue-de »,  plus que le pourquoi compris comme quête d’une cause génétique. Nous nous tenons selon la logique du phénomène et non selon celle du symptôme, dans un souci de cohérence avec une attitude phénoménologique. 

 

La Gestalt-thérapie a développé une pensée du contact conçu comme un processus et cela a donné naissance à la théorie du self  conçu comme cycle du contact : « En Gestalt-thérapie, ce que nous appelons «self » n’existe que quand et où il y a contact. Non pas un self qui existerait antérieurement et se révélerait, se manifesterait, s’exprimerait, dans le contact, mais bien est contact. Il est pli et dépli en mouvement. Il est la mise en œuvre des ajustements créateurs qui s’opèrent à la frontière du contact organisme/environnement. Dans ce champ défini comme : «un organisme et son environnement », la fonction-self désigne les mouvements internes du champ, mouvements d’intégration et de différenciation, d’unification et d’individuation, d’action et de transformation etc. »  préface à Gestalt-thérapie traduit par JM Robine ; édition l’Exprimerie : Page 9 (« Gestalt-thérapie… » Traduction de Jean-marie Robine)

 

L’objet de la Gestalt-thérapie est la formation de « Gestalten » ou formes signifiantes. C’est à cette occasion, la mise en œuvre d’un pouvoir séjourner avec le langage  qu’un sujet s’in-forme en s’in-formant au monde. La Gestalt-thérapie selon cette conception vise à solliciter les Gestaltungen, la formation des formes signifiantes de soi. Actuellement mes recherches sont en cours sur le thème des Gestaltungen de groupe, à savoir l’hypothèse que la théorie du self pourrait s’appliquer à une entité groupale, y compris sans le langage verbal (animaux).

 

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Psychopathologie

Habituellement nous concevons la pathologie comme ce qui s’écarte de la norme : norme statistique ou norme idéale visant à définir le comportement de l’homme (et le DSM est bien une typologie statistique des comportements déviants). Or, la réduction phénoménologique suspend toute thèse de valeur et donc par là toute notion de norme, celle-ci étant étrangère au vécu phénoménologique. Cependant les personnes qui viennent nous solliciter indiquent bien certaines façons de se comporter qu’elles éprouvent comme pathologique et même je conçois certaines modalités d’être-au-monde comme pathologiques.


L’objet de la pathologie n’est pas simplement ce qui s’écarte d’une norme établie et qui par là donne de la pathologie une définition générale et décontextualisée. Dans un point de vue phénoménologique, nous pouvons néanmoins penser la pathologie : La pathologie ne réside plus alors dans la matérialité d’un comportement (nosographie classique) mais dans la condition de possibilité d’un comportement. Nous concevons alors la pathologie comme une « pathologie de la liberté » (Henry Ey), la pathologie du point de vue de l’être-au-monde est une difficulté à tisser un monde commun, à ouvrir un monde sans cesse nouveau.


C’est en quelque sorte un rétrécissement de l’ouverture des possibles conduisant à se décider pour son possible propre. Tout mode de se comporter est potentiellement présent pour tout être humain sain. Ce que nous considérons comme sain est alors cette liberté d’actualiser ou non un mode de se comporter. Et ce dont souffrent nos patients prend sens d’une impossibilité à se défaire d’un mode de se rapporter au monde - et par là à eux-mêmes et à autrui - qu’ils endurent : même si ils en ont conscience, ils persistent dans une telle flexion de leur exister qu’ils ne reconnaissent pas comme leur propre. Une telle façon de concevoir la pathologie se retrouve notamment dans les travaux de psychiatres phénoménologues tels que Arthur Tatossian, Wolfgang Blankenburg et Bin Kimura.


Jean-Marie Robine : «lorsque l'on voit ce que les psychiatres (profession à la disparition programmée, fait au demeurant très alarmant), dans une proportion de plus en plus élevée, considèrent comme LA référence psychopathologique, à savoir le DSM IV, un instrument qui substitue la statistique à la pensée clinique à laquelle les grands cliniciens du siècle nous avaient préparés, on est en droit de s'inquiéter de cette hégémonie supplémentaire».  On s'inquiète d'autant plus – on s’insurge même -, quand on apprend qu'il existait des liens entre plus de la moitié des psychiatres à l'origine du DSMIV et l'industrie pharmaceutique...


En Gestalt thérapie la pathologie est comprise comme une restriction des possibilités de se donner forme (gestalt = forme). Cette restriction affecte le « pouvoir être soi-même». Si nous concevons la pathologie comme une défaillance du cours de la présence nous pouvons nous appuyer sur la théorie de self sans avoir recours à une nosographie. Le projet du Gestalt thérapeute visera à repérer le style de la présence se déployant dans le processus du self et à mobiliser l’ajustement créateur. La théorie du self telle qu’elle a été élaborée par les Perls et leurs continuateurs est pleinement opérante et ne nécessite pas, à mon avis, l’apport complémentaire d’une catégorisation nosographique qui relève du paradigme individualiste.

 

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Conclusions

Le Gestalt thérapeute interroge et s’étonne. Ce qui est premier pour lui, c’est la relation qu’il tisse à son patient, relation que nous comprenons comme in-formation du contacter toujours à l’œuvre. La relation est œuvre de subjectivation et non rencontre de deux sujets préconstitués. Le Gestalt thérapeute est attentif à sa façon de se tenir en cette relation. Il est « partie » survenante de l’expérience de cette rencontre, en ce qu’elle fait événement, tant pour lui que pour son patient. Ce que le Gestalt-thérapeute prend en conscience et qu’il interpelle ce sont les modalités particulières de la construction signifiante de cette relation (Gestaltung). En effet je n’ai accès à autrui qu’à l’occasion de par où nous nous éprouvons l’un l’autre simultanément et du langage que nous partageons. Adoptant une attitude phénoménologique, le Gestalt thérapeute se tient dans la surprise de la rencontre.

 

Ainsi il n’est rien d’autre à questionner que ce qui advient là, dans la rencontre s’in-formant en in-formant ces deux personnes, et par laquelle toutes deux existent l’une à l’autre. Il n’est pas de « caché derrière », de supposé contenu latent qu’il s’agira de révéler par l’interprétation à un contenu manifeste. Simplement il s’agit de déplier ce qui advient là, c’est-à-dire la façon dont chacun des deux protagonistes entrent en présence, en sollicitant le patient afin de lui permettre d’enrichir ses modalités d’être au monde.


Dans le cours de la séance, le Gestalt thérapeute est totalement engagé : il est attentif à sa façon de donner sens à la situation de rencontre et il prend l’entière responsabilité de ses propres constructions signifiantes, qu’il propose et partage avec son patient, tous deux engagés dans une co-construction commune de soi au monde. Il met en mot, en jeu, qu’il  sent et ressent et comment il se sent affecté, le sentiment qu’il éprouve, ce qu’il imagine, ce qu’il perçoit et par là il se choisit en assumant délibérément sa propre affectation, en la reconnaissant comme son propre point de vue, dans ce contexte particulier. Ce faisant, il sollicite et invite l’autre à prendre conscience et à se décider...

 

Dans la situation thérapeutique, le Gestalt thérapeute se met à la disposition de son patient : il se tient à ses côtés et vise à le soutenir dans une prise en conscience, peu à peu, de sa propre créativité, de son pouvoir être qu’il ne reconnaît pas de prime abord. Ainsi la posture du Gestalt-thérapeute l’invite à prendre la responsabilité de sa propre subjectivation : à s’approprier. Cela nécessite un travail constant, une attitude d’humilité : assumer que toute direction de sens m’appartient …

 

La conception du self initiée par la Gestalt-thérapie et son évolution à partir des travaux de la psychiatrie phénoménologique est d’une grande richesse, elle ose suspendre l’évidence du psychisme conçu sur le sol du dualisme cartésien d’une res cogitans et res intellectus.  

 

 

Cet article, à peine aménagé de quelques ajouts, est principalement composé d’extraits d’un article d’Edith Blanquet intitulé : « Notion de champ en Gestalt-thérapie. Illustration clinique : Marylin » dont vous trouverez l’intégralité sur http://gestalt.nuxit.net/Gestalt/spip.php?rubrique6

 

 


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